Depuis lundi, à l’exception de Mayotte, tous les départements et territoires d’Outre-mer sont sortis officiellement de cette période confinement. Depuis quelques semaines, les Calédoniens, Polynésiens, Saint-Pierrais et Miquelonnais ont été les premiers à reprendre une vie quasi normale. Mais quel impact cette pandémie a-t-elle eu dans les DROM-COM et quel enseignement faut-il tirer de cette crise ? La réponse avec le Dr Bernard-Alex Gaüzere, professeur visiteur de médecine tropicale à l’Université de Bordeaux et ancien chef du service de réanimation au CHU Nord de La Réunion.

Une population plus fragile en Outre-mer face au covid-19... 

"Les DROM-COM se caractérisent par une forte prévalence du diabète, de l’hypertension, des cardiopathies ischémiques, de l’insuffisance rénale, du surpoids, de l’obésité. De plus, certains de ces territoires sont frappés par un taux d’alcoolisme beaucoup plus important qu’en France métropolitaine, qui expose le foie encore plus aux effets toxiques du paracétamol, comme lors de l’épidémie de chikungunya à La Réunion en 2005-2006… Les ultramarins sont donc poly-pathologiques plus tôt que les métropolitains et leur espérance de vie est plus courte de quelques années avec un fort taux de mortalité prématurée surtout chez l’homme, c’est-à-dire une mortalité survenant avant l’âge de 65 ans."

Des infrastructures sanitaires moins denses qu’en métropole et un splendide isolement...

"La densité de personnel soignant et d’infrastructures sanitaires est plus basse qu’en métropole, tout particulièrement en Guyane et surtout à Mayotte. Certes, en prévision de la vague épidémique, « les murs ont été repoussés » et des lits de réanimation ont été créés. Mais Mayotte ne dispose pas du personnel médical et paramédical supplémentaire nécessaire pour les armer et il faudra faire appel à la solidarité nationale et à la réserve sanitaire, déjà bien sollicitée au cours des semaines passées."

Une situation épidémiologique favorable, sauf…

"Avec une moyenne de 0,4 hospitalisation pour 10 000 personnes, l’épidémie dans les DOM n’a rien à voir avec la moyenne nationale : 4,4 hospitalisations pour 10 000 habitants en moyenne, mais 15 hospitalisations pour 10 000 habitants dans le Val-de-Marne, 13 à Paris et 12 dans le Haut-Rhin."

L'exception réunionnaise

"En date du 5 mai, La Réunion dénombrait 440 confirmés depuis le premier patient, un homme de 80 ans contaminé lors d’une croisière dans les Bahamas. Une quinzaine de personnes ont nécessité une admission en service de réanimation. Et deux s’y trouvent encore. Nous ne déplorons, à ce jour, aucun décès alors que moins d’une dizaine de personnes sont encore hospitalisées. Depuis quelques jours, alors que le nombre d’examens par PCR a été multiplié (environ 1 000 / semaine), nous n’avons plus beaucoup de cas positifs : 1 à 2 par jour, voire aucun. Les trois-quarts des cas ont été importés de métropole et de l’étranger par des vacanciers de retour qui ont été priés de rester confinés chez eux. Cette consigne semble avoir été suivie, car on ne dénombre qu’une soixantaine de cas contacts autochtones secondaires autour d’eux. Afin de protéger l’île, depuis un mois, il n’y a plus que 150 passagers qui arrivent de métropole par semaine en trois vols. Ces personnes sont obligatoirement confinées dans des hôtels et ne peuvent en sortir que lorsque le test PCR est négatif au 14ème jour. Cette quarantaine obligatoire est poursuivie aussi depuis le 11 mai (date du début du déconfinement national, sauf pour Mayotte), a annoncé le Premier ministre, en date du 4 mai. À La Réunion, les résidents des EHPAD n’ont pas été touchés par le virus, contrairement à la métropole où leur nombre de décès compte pour plus d’un tiers des décès totaux. Au plan de l’épidémie, il semble donc exister une exception réunionnaise, du moins, à ce jour."

La Réunion a su faire face...

"La Réunion disposait avant la crise d’environ 80 lits de réanimation, la plupart dans les deux sites nord et sud du CHU, y compris les lits de réanimation du service des grands brûlés, de réanimation de neurochirurgie et de chirurgie cardiaque. Avec les mobilisations des lits des salles de réveil, et des divers soins intensifs, ce nombre peut être porté à 120 environ. Nous avons également manqué de masques, mais à l’heure actuelle, cette difficulté est en voie de règlement. Un point original : les trois principaux alcooliers de l’île ont reconverti leurs chaînes de production de rhum en production de solutions hydro-alcooliques à des prix raisonnables, à partir de l’alcool de canne à sucre ! Deux-cent-vingt-et-un professionnels volontaires ont été recensés pour compléter les équipes soignantes, sur la plateforme mise en place par l’Agence Régionale de Santé. Enfin, le porte-hélicoptères Mistral qui forme les officiers-élèves de la Marine nationale a été dérouté de sa mission initiale qui devait lui faire toucher l’Australie et assure désormais la logistique entre Mayotte et La Réunion, ayant déjà transporté 300 tonnes de matériel de La Réunion à Mayotte, il s’apprête en cette fin de semaine à effectuer une seconde rotation avec 500 tonnes, dont 200 tonnes d’eau. Mais il ne s’agit pas d’un navire hôpital."

Situation très compliquée à Mayotte...

"La situation sanitaire dégénère très rapidement à Mayotte (qui compte officiellement 270 000 habitants, plus environ 100 000 immigrants illégaux des Comores voisines, N.D.R.), sur fond d’émeutes.  Mayotte est sous-médicalisée et les mesures de confinement ne sont pas suivies par la population qui ne comprend pas les messages et n’a pas toujours accès à l’eau potable et au savon. En date du 5 mai, le bilan humain était déjà très lourd, 739 cas et déjà 9 décès, dont celui du Grand Imam de la mosquée du Vendredi de Mamoudzou, la capitale de Mayotte. D’après la directrice de l’ARS, « Le virus est partout, dans tous les villages, avec une accélération brutale depuis le début du Ramadan ». C'est pourquoi le gouvernement a annoncé que le déconfinement de l’île ne se ferait pas le 11 mai. Mayotte est vraisemblablement le nouvel épicentre français de la maladie et va déborder sur La Réunion, par le transfert des patients de Mayotte à La Réunion, bien mieux équipée.

Etre sur une île : un atout et un handicap...

"Dans l’immédiat, il s’agit d’un atout comme en témoigne la situation favorable de l’épidémie, ce jour.  Par contre, l’absence quasi-totale d’immunité, la population de La Réunion sera encore plus vulnérable que celle de la métropole d’une part, et d’autre part, il ne sera pas possible d’évacuer des patients de réanimation par un TGV médicalisé à 10 000 km d’ici. Qu’en sera-t-il, quand il faudra rouvrir l’aéroport ? En temps habituel, environ 1 000 passagers débarquent chaque jour dans l’île et il ne sera guère possible de les mettre en quarantaine ! Cela risque d’être la fin de l’exception réunionnaise, d’autant que la saison fraîche qui va débuter en juin apportera son lot de grippes saisonnières ici et l’habituelle surcharge de nos structures de santé, y compris des services de réanimation."

Le climat tropical influence-t-il les épidémies et celle-ci en particulier ?

"Il est établi que l’immunité humaine est plus forte en été qu’en hiver. Il est bien connu que le déficit en vitamine D (par manque d’exposition au soleil), comme par exemple en région parisienne et dans le grand Est de la France en fin d’hiver, diminue les défenses immunitaires et expose à plus d’infections. Cette carence en vitamine D est vraisemblablement moindre à la Réunion qu’en fin d’hiver dans certaines régions métropolitaines. Ce moindre déficit en vitamine D de la population expliquerait-il la moindre fréquence du Covid-19 dans l’ouest et le sud de la France ? Il est bien connu que les rayons ultraviolets du soleil endommagent l’ARN et donc celui des virus, les rendant donc moins longtemps présents dans notre environnement. Pouvoir vivre dehors, réduit les risques de promiscuité au sein de la famille et donc les risques de transmission du virus au domicile. Or, en matière de coronavirus, la transmission intra-familiale est importante. Toutefois, la situation épidémique actuelle de Mayotte, dément cette hypothèse."

D’un virus à l’autre...

"L’inquiétante épidémie de dengue qui sévit depuis deux ans à La Réunion et à Mayotte (comme dans tout l’Outre-mer français depuis une dizaine d’année) est presque passée inaperçue depuis le début du mois de mars. Elle s’intensifie avec plus de 1 500 nouveaux cas confirmés par semaine, à La Réunion et plus de 3 000 par semaine à Mayotte qui accuse déjà une surmortalité de 27 % par rapport à 2019 (liée plus à la dengue qu’à la Covid-19). D’autant plus inquiétant que 3 des 4 virus de la dengue circulent dans l’île et qu’un virus n’immunise pas contre les 3 autres. Autrement dit, il est possible d’être malade de la dengue, quatre fois…

Pas de déploiement médical dans la zone Océan Indien...

"Il n’est pas actuellement prévu que les professionnels de santé de la Réunion soient déployés dans les îles voisines, sauf à Mayotte dans le cadre de la réserve sanitaire. De fait, des professionnels de santé de la métropole et de La Réunion, s’y trouvent déjà. Quant aux Comores, après avoir – tout comme en Chine – convoqué les lanceurs d’alerte dans les commissariats de police, elles ont fini par déclarer 3 cas, alors que leurs structures de santé sont débordées par des « cas de grippe avec complications respiratoires », pour la bonne raison que les tests PCR de dépistage n’y sont toujours pas pratiqués. Toutefois plusieurs cas de Covid-19 venant des Comores ont été diagnostiqués à Mayotte et même à La Réunion, témoignant de la circulation du virus et ayant déclenché de véhémentes protestations du gouvernement comorien pour ingérence…"

 Le mot de la fin...

"Nous ne connaîtrons vraisemblablement jamais plus le monde que nous avons laissé il y a deux mois, ici ou ailleurs… Mais l’humanité fera face à ce nouveau défi, comme elle l’a toujours fait depuis ses débuts."

 

Propos recueillis par Valérie LUSANG